La semaine dernière, nous étions invités aux Assises du journalisme de Tours pour débattre : « Des Quotas Climat dans les médias, bonne ou mauvaise idée ? ». Celles et ceux qui y étaient pourront le confirmer : le débat s’est avéré houleux, agressif. Les attaques se sont multipliées : QuotaClimat serait « autoritariste », se dépeignant en « Robespierre ».
Il semble donc important d’y revenir.
La table-ronde était composée de :
- Luc Bourrianne, rédacteur en chef de la Nouvelle République du Centre-Ouest
- Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert
- Yann Guégan, vice-président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CJDM)
- Catherine Levesque Lecointre, journaliste membre de l’association des Journalistes Ecrivains pour la nature et l’écologie (JNE)
- Stéphane Frachet, correspondant en région pour Les Échos
- Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat
Tout débat d’idées devrait commencer par un exposé des faits.
Cela n’a malheureusement pas été rendu possible. Les intervenants ont été, tour à tour, invités à se positionner sur une mesure, sans comprendre sa nature, son fonctionnement ni le problème auquel elle propose de remédier.
Une couverture des enjeux environnementaux structurellement très faible
- La couverture médiatique des enjeux environnementaux est faible, et cela évolue peu dans le temps. Si le nombre de reportages dédiés a augmenté sur certains journaux télévisés sur les 10 dernières années (TF1 notamment), ils ne représentent que 0,9% des sujets totaux.
- La couverture médiatique de ces enjeux subit une baisse récente préoccupante : elle a diminué de 30% entre 2023 et 2024 dans les temps d’information des principales chaînes de télévision et de radio françaises. En mars 2025, ces sujets ne représentent que 2% du temps d’antenne.
- Cette couverture reste notamment faible en période électorale : lors des élections de 2022, elle ne représentait que 3 à 5% du temps d’antenne – un volume comparable à la période électorale du printemps – été 2024.
Cette carence d’information est donc structurelle et persistante. Malgré le sursaut de la profession journalistique française en 2022 (publication de la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique signée par des dizaines de rédactions, organisations et 1800 journalistes, et la publication de chartes d’engagement au sein de nombreux médias), la situation reste inchangée.
Une approche quantitative déjà mobilisée en droit des médias
- Lors des candidatures pour l’attribution des voies de diffusion hertzienne, les chaînes doivent spécifier les volumes horaires dédiés à chaque type de programme, s’engager à les respecter, et fournir les données nécessaires à l’évaluation de cet engagement
- L’Autorité de régulation incite l’audiovisuel public à indiquer des volumes de l’offre des programmes régionaux
- Elle en fait de même pour favoriser la représentation de la dimension ultramarine de la société française
- La loi n°2015-2 du 4 février 2015 relative au respect des droits des femmes oblige les éditeurs à “diffuser chaque année des programmes et sujets contribuant à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes”. La délibération de l’Autorité de régulation spécifie qu’en application de la loi, les éditeurs doivent lui fournir « des indicateurs qualitatifs et quantitatifs sur la représentation des femmes et des hommes dans leurs programmes »
- Dans une perspective quantitative de l’application du pluralisme, les éditeurs transmettent les relevés des temps d’intervention des personnalités politiques à l’Autorité de régulation
Par ailleurs, la délibération n°2024-15 du 17 juillet 2024 relative au respect du principe de pluralisme des courants de pensée et d’opinion établit que, pour la première fois, la diversité des thématiques couvertes à l’antenne est intégrée à la définition du pluralisme.
Cet état des lieux entérine deux choses :
- L’état quantitatif de la couverture médiatique des enjeux écologiques manque de proportionnalité avec l’ampleur des risques que nos sociétés encourent
- La régulation médiatique française adopte déjà une approche quantitative – respectueuse de l’état de droit
La mise en œuvre de volumes horaires dédiés aux enjeux environnementaux ne serait donc ni un dispositif inédit dans sa nature (puisqu’existant sur d’autres périmètres), ni un dangereux précédent ouvrant la voie à des quotas sur d’autres thématiques (puisque ces précédents existent déjà).
En tout état de cause, il pourrait s’agir d’un outil d’application de la nouvelle définition du pluralisme.
Ce que l’association QuotaClimat propose, et défend au sein d’une proposition de loi déposée sur le site de l’Assemblée nationale et co-signée par plus de 80 députés de 8 bords politiques différents :
L’instauration d’un quota de temps plancher dédié aux enjeux environnementaux en période électorale lorsqu’un éditeur donné affiche un déséquilibre visible dans sa couverture du sujet.
Ce que nous ne proposons pas :
- Un quota unique pour tous les éditeurs
- Un quota tout au long de l’année
- Un quota pour la presse écrite
QuotaClimat œuvre pour une valorisation de l’information, pour un renforcement du rôle des médias, et pour l’indépendance de la presse face aux ingérences économiques, politiques, étrangères.
Nous sommes profondément attachés à la qualité de l’information environnementale, dont l’état est aujourd’hui préoccupant.
Notre démocratie sera vivante tant que nous pourrons y participer, y débattre, librement.
La mesure proposée invite au débat. Ce débat est sain. Que ce débat ait lieu, mais sans procès d’intention anti-démocratique – cet article vise à le clarifier.
Le contexte n’a pas permis de répondre aux remarques, légitimes, mais méritant un débat apaisé et éclairé :
« Cette disposition est contraire à la liberté d’expression »
Comme décrit plus haut, les journalistes ne travaillent pas dans un vide juridique. Ils ont des libertés, des droits, et des devoirs. Le respect du pluralisme est d’ores-et-déjà élargi à l’équilibre de représentation des thématiques à l’antenne. Il s’agit ici de se doter d’un dispositif de réaction si un déséquilibre est constaté.
Il s’agit, par ailleurs, de favoriser le respect du droit citoyen à l’information, tout aussi important car rattaché à la liberté d’opinions, inscrite dans notre Constitution. Le droit à l’information environnementale est également inscrit à l’article 7 de la Charte de l’Environnement, rattachée au bloc de constitutionnalité.
Droit à l’information et liberté d’expression peuvent, et doivent, être conciliées.
« La loi de 1881 sur la liberté de la presse est sacrée »
La proposition ne s’applique pas à la presse écrite. Elle ne modifie pas la loi de 1881 relative à la liberté de la presse. Elle propose d’étayer la loi de 1986, en clarifiant la mission développement durable de l’ARCOM.
« Certains pourraient se servir de ce volume pour désinformer »
Bien entendu. Mais la désinformation est d’ores-et-déjà en hausse sans même qu’un quota vienne l’y inciter.
Son encadrement doit, bien entendu, être renforcé. Nous proposons, en parallèle de l’instauration d’un quota, de reconnaître l’état des connaissances scientifiques sur le climat comme un fait, et de sanctionner les contenus désinformant à ce sujet sans contradiction.
Par ailleurs, toute loi devrait faire l’objet d’une évaluation des risques avant d’être promulguée. Mais nous devons également prendre en compte les risques associés à l’inaction. En l’occurrence : l’agenda médiatique suit l’agenda politique et affiche un retour de bâton tant quantitatif que qualitatif, aux conséquences démocratiques tangibles. Notre droit à un environnement sain n’est ni respecté, ni en passe de l’être.
Le quota est une piste de solution, à percevoir comme complémentaire d’une diversité de mesures : renforcement de la formation initiale et continue, encadrement de la rigueur de l’information, renforcement de l’indépendance des médias, sécurisation du modèle économique, etc.
« Un quota écologie aujourd’hui, un quota immigration demain ? »
Comme mentionné plus haut, la régulation médiatique possède déjà une dimension quantitative. Il serait donc déjà possible de promulguer des lois visant à instaurer des volumes horaires dédiés à l’immigration.
L’instauration d’un volume horaire consacré aux enjeux environnementaux n’est pas une condition facilitatrice – cette possibilité existe déjà.
Par ailleurs, nul besoin de quotas pour que les enjeux sécurité/immigration occupent dès à présent un volume conséquent dans l’espace informationnel.
Le statu quo reflète d’ores-et-déjà la crainte soulevée.
« Certains risquent d’instrumentaliser cette mesure pour faire écho à leur vision politique »
Encore une fois, bien entendu. L’action est toujours associée au risque. Mais la solution est-elle de rester passif ? Le risque le plus grand aujourd’hui est sans doute de ne rien faire, compte tenu de l’ampleur de la dérive déjà en cours, ressentie mais aussi démontrée.
« Il est déjà difficile pour les petites radios de respecter l’équilibre des temps de parole des candidats, leur ajouter une contrainte risque de les défavoriser davantage »
Les règles temporaires de production s’applique avec fermeté pour les médias les plus exposés, les petits médias sont moins contrôlés. Il s’agit de démontrer l’exigence de moyens et non pas de résultats.
« Cette proposition favorise l’essor d’un journalisme militant »
L’état de la couverture actuelle des enjeux environnementaux affiche une nette disproportion avec l’ampleur des déstabilisations encourues par notre société du fait des crises environnementales.
L’information face au risque est un droit, se mobiliser en faveur de ce droit peut être nommé militantisme – en tout état de cause, c’est la carence dénoncée qui affiche un caractère militant. Le déni est également une forme de militantisme.